
J’ai eu le privilège de recevoir ce roman grâce à une opération Masse Critique de Babelio et de pouvoir, ainsi, le découvrir en amont de sa sortie. Il fait partie de ces livres qui ont accompagné mon été, et qui resteront longtemps dans ma tête et dans mon cœur.
Ma joie est grande de vous annoncer que j’ai pu poser quelques questions à l’autrice Alexandra Koszelyk, je vous laisse les découvrir.
Ce titre Pages volées est-il venu facilement à vous ?
Non, du tout, il est même venu très tardivement. J’ai travaillé ce texte avec un titre en particulier, mais il ne convenait pas. Nous avons trouvé ce titre avec toute l’équipe des Forges : chacun y a mis du sien, et Pages volées est une trouvaille commune. Une personne a suggéré un titre qui me plaisait beaucoup, cela a enclenché une discussion avec mon éditeur et nous avons ce titre. J’aime cette symbolique qui reprend bien le mythe de Vulcain. Travailler ensemble et aller plus loin !
Portiez-vous ce texte en vous depuis longtemps ?
Je crois que je porte ce texte depuis l’accident, ce sont des réflexions que je mène soit consciemment, soit inconsciemment. En revanche, je n’avais jusqu’alors pas éprouvé le besoin de les écrire. Quand la digue a cédé, je n’ai pas pu les contenir. Alors j’ai laissé le flot couler.
Aviez-vous éventuellement songé à la fiction pour raconter votre histoire ? Ou la non-fiction était-elle la seule forme du récit possible ?
On n’a pas à opposer fiction et non fiction, on écrit toujours à partir de soi ou à partir de son regard posé sur le monde. On peut écrire « elle » en pensant à « je », on peut écrire « je » et ne pas en être le sujet ; pour moi, dans ce texte, j’avais envie de me regarder en face et de ne plus me cacher derrière une ambiguïté, paradoxalement en disant « je », je suis sortie de ma zone de confort, et j’ai pu creuser plus profondément le sillon amorcé dans les fictions. D’ailleurs, il y a une continuité dans mes textes, qu’ils soient fiction ou non.
On parle aujourd’hui beaucoup de la « Bibliothérapie », cette pratique qui vante les vertus prophylactiques de la lecture, qui permet de mettre « des mots sur les maux ». Vous faites d’ailleurs cette comparaison de la littérature comme baume. Vous reconnaissez-vous dans cette « douce médecine » ?
Ha mais complètement ! Il y a beaucoup de raisons de lire : s’instruire, s’échapper, guérir… La lecture est un bienfait pluriel. Chacun peut y trouver ce dont il a besoin. Petite, j’ai souvent lu pour m’échapper du réel et trouver des réponses, sans en avoir conscience d’ailleurs ; par la suite, avec mes études, j’ai beaucoup lu pour m’instruire, aujourd’hui, je lis essentiellement pour mon métier, autour de pratiques pédagogiques, mais aussi pour mes fictions. A mon grand regret, je lis de moins en moins pour me distraire, par faute de temps.
Vous souvenez-vous du tout premier livre, de la toute première autrice, du tout premier auteur, qui vous soit apparu.e comme un refuge ? Une porte, une main tendue sur la réparation ?
Les Hauts de Hurlevent. J’en ai d’ailleurs fait un chapitre dans Pages volées. C’est la première fois que je comprends qu’on peut lire un roman sur des personnages cabossés, je devais avoir douze ans, et ces personnages sont devenus des amis, je les comprenais tellement…
Le temps ou la littérature : quel a été selon vous le meilleur allié ?
La littérature. Pour pasticher Molière : Le temps ne fait rien à l’affaire. Il en va de même pour la souffrance. Bien entendu, le temps permet de s’extraire d’une forte douleur, mais on ne s’échappe pas vraiment de celle-ci, elle est plus douce avec nous, on l’intègre, mais sans l’oublier. La littérature, quant à elle, permet de réfléchir à cette douleur, donc de la mettre à distance et de ne plus tourner en boucle avec la souffrance. Les histoires, mais aussi les mots, sont des intermédiaires qui le permettent.
Vous faites souvent parler les mots en leur trouvant des résonances communes, en reliant leur racine, leur étymologie – je pense notamment à livre / liber, Orphée / orphelin, mais il y a tant d’autres exemples -, cela m’a beaucoup fait penser à La langue géniale d’Andrea Marcolongo. La langue – ou plutôt les langues – est-elle pour vous un jeu sans fin ? Votre préféré, peut-être ? 🙂
Ha mais j’adore Andrea ! Nous avons déjà échangé ensemble, je la lis, elle me lit, nous avons des passions communes, dont le Grec ancien. J’adore jouer avec la langue, lui redonner du sens. Je le fais souvent avec mes élèves : j’apprécie particulièrement cet instant où leurs yeux s’éclairent et qu’ils me disent « c’est génial, je n’avais vu les mots sous cet angle, là je comprends leur histoire ! » Je n’ai pas une étymologie préférée, c’est chez moi une curiosité permanente, hier encore avec mon compagnon on a longuement discuté de l’étymologie et de l’orthographe du mot « oignon ».
Votre livre vient de sortir en librairie, votre histoire est à présent entre les mains de lecteur.rice.s, qu’est-ce que cela vous fait ?
Je suis bouleversée par leurs retours. Je saisis que mon histoire peut avoir une résonance chez eux, même si nous ne partageons pas les mêmes événements de vie. Je suis toujours foncièrement touchée par ce lien créé par la littérature.
Pouvez-vous nous parler de cette résidence à La Lanterne des Écrivains, était-ce la première fois que vous faisiez ce genre d’expérience ? Aviez-vous besoin de cet isolement pour écrire ce livre-ci ? Et aviez-vous des rituels d’écriture spécifiques ?
Oui, c’était ma première résidence, et je pense vraiment que sans ce temps dédié à l’écriture, ni cet isolement, Pages volées n’aurait sans doute pas pris ce tournant. Je pensais écrire un essai, à l’origine… mais l’écriture en a décidément autrement, et j’ai choisi de laisser sortir ce qui arrivait. Ecrire dans un lieu qui ne possède aucune résonance affective permet sans doute de pouvoir se confier davantage.
Enfin, avez-vous un coup de cœur récent à partager ? De la rentrée littéraire, peut-être ?
Je n’ai malheureusement pas encore eu le temps de découvrir un titre de la rentrée, mais j’ai découvert l’Irlande cet été, et une autrice incroyable : Nuala O’Faolain Ce regard en arrière, pour n’en citer qu’un.
Merci mille fois à Alexandra Koszelyk pour cette interview,
ainsi qu’à son éditeur David Meulemans !
